Quand je pense à Wol­fenbüt­tel, la nuit…

Wolfenbüttel? La traductrice Alexia Valembois n’en avait jamais entendu parler. Donc, la rencontre annuelle des traducteurs littéraires allemands dans cette ville fut une grande aventure. Par

La soirée des lectures à Wolfenbüttel, c'est, tout d'abord, la soirée des traductions. Photo: Ebba Drolshagen

Aus­si navrant que cela puisse me paraître aujourd’hui, il y a encore quelque mois j’ignorais jusqu’à l’existence de Wol­fenbüt­tel. Je m’étonne aujourd’hui de n’y avoir jamais situé Les­sing, de n’avoir jamais enten­du par­ler de la biblio­thèque Her­zog August. Dire que je suis pas­sée jusqu’ici à côté de cette Alle­magne de carte pos­tale, de l’enchevêtrement laby­rin­thique de ces ruelles que l’on par­court le nez en l’air pour pro­fi­ter d’un spec­tacle d’un autre temps – un vrai décor gran­deur nature qui pour­rait ser­vir de cadre à une uchro­nie alle­mande où la Deuxième Guerre mon­diale n’aurait jamais eu lieu !

Je connais­sais certes, comme tout le monde ou presque, la fameuse liqueur Jäger­meis­ter, mais sans m’être jamais deman­dé où elle se fabri­quait. Admet­tons que mon igno­rance s’explique par mon éloi­gne­ment pro­vin­cial – il y a tout de même près de 1 500 km à par­cou­rir depuis mon Bor­deaux natal pour arri­ver jusqu’ici. Il est, en revanche, un peu décon­cer­tant que, ces quinze der­nières années, la tra­duc­trice que je pré­tends être n’ait jamais eu vent de l’existence de ce ras­sem­ble­ment des Wol­fenbüt­tler Gespräche.

Dans la fabu­leuse salle du conseil de l’hôtel de ville ou les dédales énig­ma­tiques du Schü­ne­manns Mühle – miné­ral et aqua­tique – mon esprit roma­nesque et fran­çais trouve par consé­quent aux sei­zièmes retrou­vailles de la com­mu­nau­té des tra­duc­teurs alle­mands un petit goût de socié­té secrète et de potion magique. Mes six condis­ciples – Rita Bariche, Ben­ja­min Ber­nard, Éli­sa Cra­beil, Bar­ba­ra Fon­taine, Julie Tirard et Laurent Val­lance – et moi-même avons la chance de péné­trer dans le cercle des ini­tiés. Je me sens pri­vi­lé­giée : quel bon­heur que la baguette du DÜF se soit posée sur moi et m’ait gra­ti­fiée de la bourse Elmar Tophoven !

Puisque j’entends être à la hau­teur de l’honneur qui m’est fait et de ces trois jours d’intenses cogi­ta­tions, j’entame la pre­mière jour­née du pro­gramme par quelques lon­gueurs de bas­sin, à la pis­cine Stadt­bad Oke­raue, au pied de l’impressionnante Was­ser­turm ocre. Je ne suis pas la seule à avoir adop­té l’adage „Qui veut voya­ger loin ménage sa mon­ture“; la nata­tion est, à mes yeux, l’une des meilleures contre-pos­tures à la tra­duc­tion, avec le yoga, bien sûr… Et ce ne sont sûre­ment pas les par­ti­ci­pants à l’atelier de Bet­ti­na Bach, Yoga – Ein Blick über den Mat­ten­rand, qui me contrediront.

Fraîche et dis­pose, je retrouve ensuite Marie Schöck, notre bonne fée du DÜF, Patri­cia Klo­bu­sicz­ky, l’énergique et brillante pré­si­dente du VdÜ, et la sémillante Wol­fenbüt­te­ler Team, avec Doro­thea Traupe et Jan Schön­herr. Avec Jan et Doro­thea, notre pré­cé­dente ren­contre remonte à six mois ; dans d’autres ruelles et un autre temps dif­fé­rents, à Arles, dans le sud-est de la France où se tenaient les 35e Assises de la tra­duc­tion littéraire.

Entre les deux mani­fes­ta­tions, les paral­lèles sont nom­breux. Dans ces deux villes excen­trées au patri­moine cultu­rel emblé­ma­tique et à taille humaine, le che­min se par­court aisé­ment à pied, et il reste pos­sible d’arriver à peu près à l’heure même quand on a pris le temps de se perdre. Ici comme là-bas, il n’est pas rare qu’au petit-déjeu­ner ou au détour d’une rue on croise un visage fami­lier, un badge recon­nais­sable, Atlas ou VdÜ, à la bou­ton­nière. Ici comme là-bas, pen­dant trois jours, le cœur de la ville bat au rythme de la tra­duc­tion (à Wol­fenbüt­tel, cette année tou­te­fois, les flon­flons et musettes de la fête de la ville se joignent aux pul­sa­tions des tra­duc­trices et traducteurs).

Les deux mani­fes­ta­tions se com­plètent aus­si là où elles dif­fèrent l’une de l’autre, il me semble, à savoir sur la thé­ma­tique et le nombre. Arles choi­sit chaque année un thème fédé­ra­teur qui s’applique à l’ensemble des inter­ven­tions (et que beau­coup se font un plai­sir de contour­ner ou détour­ner) là où Wol­fenbüt­tel ne thé­ma­tise que la soi­rée des lec­tures (par­fois éga­le­ment contournées/détournées).

Et venons-en au nombre, puisque dans la tra­duc­tion nous savons aus­si comp­ter – même si nous employons volon­tiers une échelle à géo­mé­trie variable, comme l’a bien fait remar­quer Maria Hum­mitzsch (VdÜ) au cours de sa pré­sen­ta­tion inau­gu­rale. Nous étions 200 et quelque à Wol­fenbüt­tel avec 100 ins­crip­tions dans les dix pre­mières minutes d’ouverture – une fré­quen­ta­tion ciblée de pro­fes­sion­nels alertes – et le double à Arles, aux der­nières Assises. On y voit la volon­té arlé­sienne d’ouverture au public. Atlas, l’association orga­ni­sa­trice, s’est don­né l’objectif de sen­si­bi­li­ser le plus grand nombre à la pra­tique et aux enjeux de la tra­duc­tion tan­dis que le cercle des ini­tiés de Wol­fenbüt­tel assume la concen­tra­tion convi­viale de l’entre-soi.

Pour tous ceux et toutes celles qui sont là, la tra­duc­tion, on l’aura com­pris, relève autant de la pro­fes­sion que de l’engagement, de la convic­tion. La rela­tion qu’entretiennent tra­duc­teurs et tra­duc­trices au texte et, à tra­vers lui, à « leur » auteur n’est géné­ra­le­ment évo­quée qu’entre gens du métier, comme des amours ado­les­centes auréo­lées de pudeur. Mais elle n’a pas échap­pé à Nina George, auteure de Das Laven­del­zim­mer, notam­ment. Avec son humour qui n’a pas peur des mots, elle a su à la fois émou­voir l’assemblée et saluer le cou­rage des troupes car, comme vous l’avez si bien dit, Mme George, « la tra­duc­tion, ce n’est pas pour les mau­viettes » ! Nous sommes des war­riors sen­sibles, ras­sem­blés sous l’étendard que nous nous sommes don­né. Aux cou­leurs du VdÜ en Alle­magne, de l’ATLF, en France, et par­tout ailleurs, quel que soit son nom, notre quête est la même aux quatre coins de l’Union.

Les dif­fé­rences et points com­muns entre nos langues et nos cultures sont en effet notre cœur de métier. Tra­duire – nous sommes tous d’accord, il me semble – ne doit pas viser à faire assi­mi­ler une réa­li­té source dans une culture cible mais bien à l’y rendre lisible avec tout le charme de ses creux et de ses aspé­ri­tés. Chaque tra­duc­tion vient enri­chir l’imaginaire col­lec­tif et les outils qui nous per­mettent d’accompagner les lec­teurs dans le texte sont nombreux.

La ponc­tua­tion – nous l’avons vu avec Bri­gitte Große – guide la réflexion ; elle rythme le souffle, amé­nage les pauses et pré­pare aux étapes les plus ardues de l’ascension. La tem­po­ra­li­té pose des repères et per­met d’apprécier la cadence et les reliefs du texte. Les ins­tru­ments de nos langues res­pec­tives nous per­mettent de recom­po­ser la musique et l’enchaînement des images. L’atelier O Tem­po­ra ! de Tho­mas Bro­vot nous aura mon­tré qu’il y a bien des moyens de savoir en jouer. La lec­ture de clô­ture en a d’ailleurs fait une excel­lente démons­tra­tion. Sans com­prendre un seul mot de hon­grois, n’avons-nous pas été nom­breux à per­ce­voir la course folle que res­ti­tuait Lídia Nádo­ri dans sa tra­duc­tion d’un extrait du recueil de nou­velles de Teré­zia Mora, Die Liebe unter Aliens ?

À Wol­fenbüt­tel, il y aura eu aus­si tout ce dont je n’ai pas par­lé ici, les lec­tures des quatre sai­sons et tous les ate­liers, les dis­cus­sions à table, les verres qui s’entrechoquent, les liens qui se créent, les réseaux qui se forment. Et la convic­tion, encore, qu’une seule vie ne suf­fi­ra jamais à ras­sa­sier notre appétit !

Une tra­duc­tion alle­mande est dis­po­nible ici.

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